Du
point de vue de l’histoire politique, le XIXe
siècle ne constitue pour le royaume du Danemark qu’une longue et
pénible déroute : comme conséquence de la restructuration
géopolitique de l’Europe à l’issue des guerres napoléoniennes,
le pays dut d’abord accepter, en 1814, la perte de la Norvège,
puis, en 1864, celle des duchés du Schleswig et du Holstein, après
la défaite face aux troupes de la Prusse de Bismarck, alliée, pour
l’occasion, à l’Autriche. Ces deux traumatismes ont profondément
marqué l’histoire et l’identité nationale danoises modernes,
notamment en mettant un terme définitif à l’ancien rêve d’un
empire danois nordique, rêve trouvant ses origines à la fin du XIVe
siècle lors de l’établissement de l’Union de Kalmar. Comment
cette sinistre désillusion historique a-t-elle été interprétée
dans la littérature danoise de ce même XIXe
siècle, siècle qui voit donc le pays se construire en tant
qu’État-nation moderne au moment même où il se fait démanteler
sur la scène de la politique internationale ? Toute réflexion
faite, la littérature n’est qu’une question de voix,
et les voix de la littérature débattent sans cesse de ce qui leur
est propre par rapport à ce qu’elles partagent avec n’importe
quelle autre voix dans l’espace public, par exemple celle(s) de
l’historiographie. À travers une considération de certains romans
majeurs de l’époque, je discuterai de ce que la littérature
danoise dit de cette calamiteuse histoire nationale du XIXe
siècle : comment figure-t-on, en littérature, la construction
d’une nation moderne à travers son humiliation même, et quels
sont les liens et les écarts entre cette figuration et la
représentation que fait l’historiographie danoise du même
développement ?