lundi 27 octobre 2014

Jean-Luc Le Cam (Université de Brest) : Fondations et échanges universitaires autour de la Méditerranée du Nord (XVe-XVIIe siècles) : affirmation des pouvoirs et brassage des élites


Abstract/Résumé
 
Abstract
The history of universities and of the elites’ practices toward knowledge is not unrelated to the construction of powers and identity of peoples and territories. The university in its modern form was born between the eleventh and the thirteenth century of the will of teachers and students to free themselves from the tutelage of local Episcopal and secular powers by forming a corporation with a papal or imperial privilege. It has been then able to organize independently its teachings and to let emerge through scholastic philosophy its conception of knowledge and a vocation to universality. It then spread to Europe in similar forms and circulated a common culture through the academic peregrination.
But when the Baltic region, which had remained on the sidelines of the first academic growth, gradually joined in the fifteenth century the general trend, the paradigm had changed. University foundations had then become an issue of prestige and power for princes or urban republics that saw it as a way to "build" their state and their church. Confessional division and the dynastic and national rivalries would soon rekindle the desire for university foundation and the willingness of state control, while contributing to the formation of particular identities. From 1419 to 1665, from Rostock to Kiel via Copenhagen, Uppsala, Greifswald, Frankfurt, Konigsberg to mention only the main ones, ten universities were founded around the North Mediterranean Sea because of the will of the sovereign powers and the territorial vicissitudes. We will analyze some of these foundations and try to characterize the changes in the university hierarchy and landscape resulting from these Creations.
The local elites were naturally intended to be the first clients of these new academic institutions but they didn’t remained confined to their territory but instead often refused to comply with the state injunction to be trained in priority in the country. The absence or weaknesses of higher education in these countries have forged among northern elites a long tradition of expatriation to study and discover new knowledge. And even then when they were better equipped in academic centers, they continued to circulate within academic peregrination. The wealthiest were accomplishing the ritual Grand tour that led them far to the west and south of Europe, but many were content to only attend one or several German universities, whose influence on northern elites proved to be crucial. We will evoke the most attractive of those german universities and the reasons that made students favor them.
In these more or less distant travels, Nordic students sought to regroup by origin and regional affinity. The authorities meanwhile have been unable, despite restrictive legislation, to prevent student’s circulations. They even also fueled them to some extent by trying to attract renowned teachers, mostly from these German universities. Thus national elites were built dialectically in the encounter with an Other that both provided them with foreign influences and made them realize and represent their identity.


Résumé
L’histoire des universités et des pratiques des élites dirigeantes vis-à-vis du savoir n’est pas sans rapport avec la construction des pouvoirs et de l’identité des peuples et des territoires. L’université est certes née entre le XIe et le XIIIe siècle de la volonté des maîtres et étudiants de s’émanciper de la tutelle des pouvoirs épiscopaux et laïcs locaux, en formant corporation grâce à un privilège papal ou impérial. Elle a pu organiser alors en toute autonomie ses enseignements, dégager grâce à la scolastique sa conception du savoir et une vocation à l’universalité. Elle a essaimé ensuite en Europe sous des formes semblables et fait circuler par la pérégrination académique une culture commune.
Mais lorsque l’espace baltique, qui était resté en marge de ce premier essor universitaire, a progressivement rejoint au XVe siècle le mouvement général, le paradigme avait déjà bien changé. Les fondations universitaires étaient alors devenues un enjeu de prestige et de pouvoir pour les princes ou les républiques urbaines qui y voyaient un moyen de « construire » leur Etat et leur Eglise. La division confessionnelle et les rivalités dynastiques et nationales allaient bientôt donner un autre aliment à la fondation universitaire et à la volonté de contrôle étatique, tout en contribuant à la formation d’identités particulières. De 1419 à 1665, de Rostock jusqu’à Kiel en passant par Copenhague, Uppsala, Greifswald, Francfort, Königsberg pour ne citer que les principales, dix universités furent ainsi fondées autour de la Méditerranée du Nord du fait de la volonté des pouvoirs souverains et des péripéties territoriales. Nous analyserons quelques-unes de ces fondations et essaierons de caractériser les transformations de la hiérarchie et du paysage universitaire qui résultent de ces créations.
Les élites issues de ces peuples étaient naturellement destinées à être les premières clientes de ces organismes mais elles ne sont pas restées pour autant rivées à leur territoire, refusant de se plier à l’injonction étatique de se former prioritairement au pays. L’absence ou les faiblesses de l’enseignement supérieur dans ces contrées ont forgé chez les élites nordiques une longue tradition d’expatriation pour étudier et s’ouvrir aux savoirs nouveaux. Et même ensuite lorsqu’elles ont été mieux pourvues en centres universitaires, elles ont continué à circuler dans le cadre de la pérégrination universitaire. Les plus fortunées ont sacrifié au rite du Grand tour qui les menait loin vers l’ouest et le sud de l’Europe, mais beaucoup se contentaient d’un passage dans une ou plusieurs universités allemandes, dont l’influence sur les élites nordiques s’avère primordiale. Nous évoquerons les plus attractives et les motifs qui les faisaient préférer.
Dans ces pérégrinations plus ou moins lointaines, les étudiants des mondes nordiques ont cherché à se regrouper par origine et affinité régionale. Les pouvoirs quant à eux n’ont pas pu, malgré des législations restrictives, empêcher ces circulations, ils les ont même aussi alimentées dans une certaine mesure en essayant d’attirer des enseignants réputés, majoritairement en provenance aussi de ces universités allemandes. Ainsi se sont construites dialectiquement des élites nationales dans la rencontre avec l’Autre qui à la fois les nourrit d’influences étrangères et leur fait réaliser et représenter leur identité.